Call the midwife
- sistersinwool
- 12 avr. 2016
- 8 min de lecture
Pourquoi ce titre qui semble décalé par rapport à notre site ?
C'est le titre d'une magnifique, vraiment, magnifique série de la BBC qui raconte des moments de vie d'une communauté de religieuses et d'infirmières dans l'East End de Londres dans les années 50. Ces femmes exerçaient leur métier de sages-femmes dans le quartier des Docks, un quartier ouvrier, un quartier où la misère était grande, c'était peu de temps après la guerre et les bombardements. C'était une période où les familles étaient nombreuses et où les femmes accouchaient le plus souvent chez elles. Il y a dans cette série des personnages d'une grande humanité, les infirmières, les religieuses ou toutes ces femmes qui vivaient dans la pauvreté et qui étaient souvent solidaires les unes des autres. Une série à voir, absolument.
C'est une série tirée d'une histoire vécue. L'héroine de la série a vraiment existé, elle s'appelait Jennifer Worth et elle a raconté ses mémoires dans un livre Appelez la sage-femme.

J'ai commencé par regarder la série sur Netflix, puis j'ai lu le livre. Et j'ai trouvé un passage très drôle. Deux infirmières vont à un concert, pour écouter un violoncelliste de renommée mondiale. Cela se passe dans une église. Elles ont emmené avec elles la plus vieille des soeurs de la communauté, une soeur très cultivée, souvent incontrôlable, soeur Monica Joan, qui, elle, a prétendu amener ses aiguilles à tricoter.
" .... L’église de All Saints, dans East India Dock Road, était – est toujours – prestigieuse, et occupait dans le diocèse une position éminente. Ce bâtiment du plus pur style Regency a de magnifiques proportions ; l’intérieur est un bijou dont l’acoustique impeccable en fait un lieu de choix pour des concerts. Le pasteur avait réussi à persuader un violoncelliste de renommée mondiale de jouer dans son église. Cynthia et moi avions obtenu quartier libre ce soir-là pour assister au concert. À la dernière minute, nous nous sommes dit que ce serait gentil d’emmener sœur Monica Joan. Erreur fatale ! Pour commencer, elle a tenu à prendre son tricot. Ni Cynthia ni moi n’avons opposé de résistance comme nous aurions dû le faire – mais c’est facile à dire après coup ! Quand nous sommes entrées dans l’église, qui était pleine, sœur Monica Joan a voulu se mettre au premier rang. Telle une duchesse douairière, elle a remonté majestueusement l’allée centrale, tandis que Cynthia et moi trottions derrière elle comme deux caméristes. Elle s’est assise en plein milieu, juste devant la chaise destinée au violoncelliste, et nous l’avons encadrée. Tout le monde connaissait sœur Monica Joan, aussi, d’emblée, je me suis sentie mal à l’aise. Les chaises étaient très dures. Sœur Monica Joan s’est agitée en grommelant, et a essayé d’installer au mieux son fondement osseux sur la chaise de bois. Nous lui avons proposé un repose-genoux, mais ça ne lui a pas convenu. Il a fallu trouver des coussins. Les vicaires se sont dispersés pour aller fouiller les placards de la sacristie, mais en vain. Il y a de nombreux accessoires dans une église, mais pas de coussins moelleux. Ce qui s’en rapprochait le plus était un pan de rideau en velours. Il a été replié et placé sous ses saillies osseuses. Elle a soupiré en regardant le jeune vicaire, un nouvel arrivant désireux de faire plaisir.« Si c’est ce que vous avez trouvé de mieux, je suppose qu’il me faudra faire avec. » Devant son ton aigre, le sourire du vicaire s’est effacé. Le pasteur s’est avancé pour souhaiter la bienvenue à l’assistance, et a annoncé que du café serait servi pendant l’entracte.« Et maintenant, j’ai le grand plaisir d’accueillir… »Il a été coupé net.« Vous avez du décaféiné pour ceux qui ne boivent pas de café ? »Le pasteur s’est interrompu. Le violoncelliste, qui avait un pied sur la scène, s’est figé.« Du décaféiné ? Je ne sais pas, ma sœur.– Vous aurez peut-être la gentillesse de vous renseigner ?– Certainement, ma sœur. »Il a fait signe à un vicaire d’aller se renseigner. Je n’avais jamais vu le pasteur dans l’embarras jusqu’à présent. C’était une première. « Puis-je poursuivre, ma sœur ?– Faites, je vous en prie. » Elle a incliné gracieusement la tête.« … j’ai le plaisir d’accueillir à All Saints le violoncelliste et la pianiste renommés… » Les musiciens ont salué le public. La pianiste s’est installée au piano. Le violoncelliste a ajusté son tabouret. L’assistance a fait silence.« Elle porte du brocart, vous savez. »L’acoustique de l’église, comme je l’ai dit, était parfaite, et l’articulation de sœur Monica Joan, impeccable. Son chuchotis en aparté qui, à pleine amplitude, aurait pu être entendu dans une gare à l’heure de pointe, a pénétré tous les recoins de l’église. « C’est ce que nous faisions dans les années 1890. Nous coupions une robe de rechange dans de vieux rideaux. Je me demande chez qui elle a bien pu trouver ceux-là ? » La pianiste lui a lancé un regard furibond, mais le violoncelliste étant un homme, il n’a pas prêté attention à l’insulte et a commencé à accorder son instrument. À côté de moi, sœur Monica Joan remuait sur sa chaise pour essayer de trouver une position confortable. Satisfait, le violoncelliste a souri avec assurance à son public et a levé son archet.« Non, ça ne va pas, je n’arriverai pas à rester assise comme ça. Il me faut un coussin pour mon dos. »Le violoncelliste a laissé retomber son bras. Le pasteur a jeté un regard éperdu à ses vicaires. Une dame assise au fond s’est avancée. Elle avait eu la prévoyance d’apporter un coussin et elle le proposait bien volontiers à sœur Monica Joan.« Comme c’est gentil. Je vous suis très reconnaissante. C’est très aimable à vous. »La grâce royale avec laquelle elle avait répondu aurait éclipsé celle de Sa Gracieuse Majesté la reine mère. Après avoir tâté le coussin, elle a décidé qu’elle s’assiérait dessus et mettrait le tissu dans son dos. Cynthia et le pasteur se sont occupés de l’installer pendant que le violoncelliste et la pianiste étaient assis en silence et regardaient leurs instruments. Je ne savais où me mettre et essayais en vain de me faire oublier. Le récital a commencé, et sœur Monica Joan, enfin confortablement assise, a sorti son tricot. Il n’est pas commun de tricoter pendant un concert. En réalité, je n’ai jamais vu personne le faire. Mais sœur Monica Joan ne se souciait guère des agissements des autres. Elle faisait toujours exactement ce qu’elle voulait. Je l’avais souvent vue tricoter de façon absolument silencieuse et sereine. Mais pas ce jour-là. Son tricot était au point dentelle et demandait trois aiguilles, ce qui s’est avéré une vraie calamité. Elle a fait tomber ses aiguilles à plusieurs reprises. Comme elles étaient en acier, elles résonnaient sur le parquet. Cynthia ou moi, selon le côté où elles glissaient, étions obligées de les ramasser. Le peloton de laine est tombé aussi et a roulé sous plusieurs chaises. Une personne assise quatre chaises plus loin l’a réexpédié d’un coup de pied vers la religieuse ; mais le fil s’est pris autour d’un pied de chaise et en se tendant, a défait plusieurs mailles du tricot entre les mains de sœur Monica Joan. « Attention », a-t-elle sifflé à notre intention alors que le violoncelliste, les yeux clos, transporté, en arrivait à un passage particulièrement délicat. Il a ouvert brusquement les yeux et une fausse note inattendue s’est échappée des cordes. Voyant sœur Monica Joan se battre avec sa laine, il a réagi en vrai professionnel et s’est lancé dans son solo. Il a terminé le mouvement de façon magistrale. Le mouvement lent qui suivait a commencé dans le silence et la paix, mais le peloton de laine ne se laissait pas dompter aussi facilement. La personne assise quatre sièges plus loin a tenté de le récupérer et de le faire rouler jusqu’à son point de départ, mais en vain. Le peloton a roulé en arrière et s’est entortillé dans les pieds d’un spectateur assis au deuxième rang, qui l’a ramassé et ce faisant, a tiré à nouveau le fil à l’autre extrémité, ce qui a détricoté plusieurs points.« C’est un massacre ! » a craché sœur Monica Joan à son voisin de derrière. La pianiste, qui était en train de jouer un passage d’une tendresse poignante, s’est détournée de son piano pour jeter un regard meurtrier vers le premier rang. Le pasteur, la mine confuse, s’est approché et a demandé à voix basse à sœur Monica Joan de ne pas faire de bruit. « Qu’est-ce que vous dites, mon père ? » a-t-elle lancé à voix haute, comme si elle était sourde – ce qui n’était pas le cas. Affolé, il a battu en retraite, craignant d’aggraver les choses. Tandis que le solo final approchait, une autre aiguille est tombée sur le sol avec un cliquetis retentissant qui a complètement gâché le cri d’agonie du violoncelle au moment où s’achevait le morceau. Le troisième mouvement était un allegro con fuoco. Les deux musiciens l’ont exécuté avec une fougue et une rapidité telles que jamais je n’avais entendu pareille performance. Cynthia et moi, mortes de honte, comptions les minutes qui nous séparaient de l’entracte, où nous pourrions raccompagner sœur Monica Joan à Nonnatus House. Je grinçais des dents de fureur et avais des envies de meurtre. Cynthia, qui avait meilleur fond que moi, était patiente et compréhensive. Mais nous n’avions encore rien vu. Les musiciens ont terminé triomphalement le troisième mouvement. Avec un geste magnifique, le violoncelliste a remonté son archet et tendu le bras en l’air, souriant au public avec assurance Il ne restait que quelques secondes avant que les applaudissements éclatent, mais sœur Monica Joan les a mises à profit pour faire sa sortie. Elle s’est levée brusquement.« C’est trop pénible. Je ne souffrirai pas ça une minute de plus. Il faut que je parte. »Ses aiguilles sont tombées sur le sol autour d’elle tandis qu’elle passait devant les musiciens et, à la vue de toute la salle, elle a fièrement descendu l’allée centrale en direction de la porte. Le public de Poplar a applaudi de façon effrénée. Les gens ont crié, tapé du pied, sifflé : aucun musicien n’aurait pu désirer une ovation plus enthousiaste. Mais ils savaient, comme nous – et ils savaient que nous le savions – que les applaudissements n’étaient pas pour eux ni pour leur musique. Ils ont salué, le dos raide, le visage figé dans un sourire forcé, et ont quitté l’estrade. Une fureur noire m’a envahie. J’ai le plus grand respect pour les musiciens, sachant qu’ils s’entraînent sans relâche pendant des années, et je ne parvenais pas à excuser ce dernier affront que je considérais comme délibéré. J’aurais volontiers giflé sœur Monica Joan sans ménagement devant deux cents personnes. Je devais trembler de rage, parce que Cynthia m’a jeté un regard alarmé.« Je vais la raccompagner. Reste ici, trouve-toi un siège à l’arrière, et profite de la deuxième partie.– Comment veux-tu que je profite de quoi que ce soit après ça ? » ai-je sifflé entre mes dents serrées. Je devais avoir une drôle de voix. Son rire doux et chaleureux a fusé. « Bien sûr que si. Va prendre un café. Ils vont jouer la sonate pour violoncelle de Brahms. »Elle a ramassé les aiguilles à tricoter, dégagé le fil enroulé autour des pieds de chaise, a tout remis dans le sac à ouvrage, m’a envoyé un baiser du bout des doigts et a couru rejoindre sœur Monica Joan. Après cela, pendant des jours, des semaines peut-être, je n’ai pu me résoudre à parler à sœur Monica Joan. J’étais persuadée qu’elle avait fait exprès de gâcher le récital et d’humilier les musiciens. Je me souvenais de sa mauvaise humeur quand elle n’obtenait pas ce qu’elle voulait, de sa façon de bouder quand on la contrariait et surtout des tourments impitoyables qu’elle infligeait à sœur Evangelina. Étant arrivée à la conclusion que sa sénilité apparente n’était qu’un jeu sophistiqué auquel elle se livrait pour s’amuser, j’ai résolu de ne plus rien avoir à faire avec elle. Si je le voulais, je pouvais être tout aussi hautaine qu’elle, et quand nous nous croisions, je détournais la tête sans lui adresser la parole. "
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